Biographie. Partie IV

(1930 - 1981)
La vie à Lima, séjour à New York(1959 - 1960)

Macedonio rentra à Lima en 1930 avec une famille agrandie de trois enfants pour rester définitivement dans son pays. Pendant les mois qui suivirent, en août de la même année, le régime du Président Augusto B. Leguía tomba et le pays tout entier sombra dans une grave crise économique. Un peu plus tard, en 1932, la révolution de l’APRA de Trujillo allait éclater ce qui entraînerait l’emprisonnement et la persécution des militants de ce Parti, y compris son fondateur Víctor Raúl Haya de la Torre et son frère Agustín. Peu après son retour, Macedonio effectua dans les salons de l’Académie Alzedo sa première exposition individuelle à Lima, suscitant la surprise à cause de l’audace plastique de ses œuvres qui reflétaient les expériences européennes d’avant-garde. Cet effet fut encore plus grand car il s’agissait d’un milieu où s’était imposé l’ “indigenismo”, tendance ou “école” dirigée par son mentor et principal représentant, le maître de Cajabamba José Sabogal qui encourageait un art figuratif recueillant et valorisant l’homme et les paysages péruviens en mettant spécialement l’accent sur l’univers des Andes. L’exposition de Macedonio fut par contre le reflet d’une expression plastique très personnelle qui faisait transparaître les conquêtes formelles du cubisme et les premières péripéties de l’abstractionnisme. Macedonio ouvrit les portes du Pérou à la modernité plastique, de la même façon que Ricardo Grau renouvela profondément l’atmosphère plastique avec ses énoncés picturaux lors de son retour au Pérou –également en provenance de la France–, et réalisa une exposition notable à la Galerie “Brandes”, en 1937. Dans cette lignée des rénovateurs de l’art plastique péruvien il faut signaler Fernando de Szyszlo même s’il est postérieur à ceux qui ont été cités. Lui aussi de retour de Paris, il exposa en 1951 des œuvres à tendance abstraite, suscitant comme dans le cas de Macedonio et de Grau des réactions et des polémiques. Ce furent donc trois décennies d’apports continus qui relièrent par ces maîtres les plus puissants courants contemporains à la labeur plastique nationale, chacun à sa mesure et selon son caractère, tous profitant de leur expérience d’avant-garde en Europe, particulièrement à Paris de 1920 à 1940.

Adriana Romero épouse De la Torre, Macedonio de la Torre et leurs enfants Zoilita et Gustavo.

Le Président de la République Manuel Prado Ugarteche avec Macedonio de la Torre à une exposition de ses œuvres à Lima.

Macedonio y Manuel Prado

La première exposition à Lima de Macedonio a été décrite ainsi par Juan Manuel Ugarte Eléspuru: “Il s’agissait de paysages urbains du vieux continent, de quelques paysages champêtres et de quelques portraits, même si la figure humaine n’a jamais été l’objet de sa prédilection ni de sa réussite. Ces premières peintures reflétaient naturellement, en général, les caractéristiques importantes de l’art plastique européen de l’entre-deux-guerres: l’École de Paris et surtout les influences du synthétisme “cubistoïde” avec des réminiscences “cézannesques” et de l’expressionnisme allemand. Il s’agit là de toute une mosaïque de théories et de tendances en cours d’amalgame et d’assimilation d’expériences. Ce fut à Lima une nouveauté insolite, la première exposition plastique d’avant-garde dans notre milieu, puisqu’il y avait de tout en matière d’innovation: cubisme larvé dans les stylisations et les synthèses des images urbaines, vues toujours rapprochées et depuis un angle rentrant, et “fierismo” (fauvisme) à la manière des parisiens fauves à cause des couleurs stridentes et des audaces visuelles. Quelques touches de Picasso dans les paysages de l’Horta de l’Ebro et de Cézanne dans ceux du midi français, avec quelques contorsions expressionnistes qui étaient sûrement le souvenir de leurs contacts en Allemagne avec les intégrants du groupe “Die Brücke” et “Der Blau Reiter” de Münich. Et il y eut même quelques débuts d’abstractionnisme à la manière de Kandinsky, en sus de l’expressionnisme de Nolde”.


Pour le peintre, les années 30 seront marquées par le drame. Non seulement il vivait au sein d’une famille profondément atteinte par les commotions politiques à cause de l’emprisonnement de Haya de la Torre et les conséquences des évènements sanglants de Trujillo avec leurs séquelles d’exécutions et de persécutions. Il souffrit de surcroît la perte de deux de ses enfants: en 1933 Alberto mourut à sept ans des conséquences de la chute qui le paralysa à Bruxelles alors il n’avait que quelques mois, et en 1936, Zoilita qui n’avait que douze ans fut victime de la scarlatine. Ces deux décès réduisirent sa petite famille aux deux garçons qui continuèrent la lignée: Gustavo, né à Trujillo en 1922, et Víctor, né à La Punta, deux ans après le retour au Pérou, en 1932.


À partir de son installation dans la capitale et jusqu’à sa mort en 1981, Macedonio peignit inlassablement sans jamais s’arrêter. L’atelier du septième étage de l’immeuble “California” Rue de Mogollón à hauteur du deuxième pâté de maison du Jirón Moquegua au cœur de la vieille ville de Lima où il travaillait depuis les années 50, se transforma en un lieu de rencontre obligatoire avec l’artiste. Cet atelier était composé de deux pièces et d’une salle de bains, avec des tables et des chaises couvertes de tableaux, de plantes en pot et de tubes de peinture. D’anciens tableaux peints par lui étaient accrochés au mur à côté de Christs d’arbustes ou en os et de tableaux récemment terminés. Il y avait aussi un album contenant de vieilles coupures de journaux jaunies qui témoignaient de commentaires suscités par sa longue carrière picturale et que Macedonio se plaisait à montrer avec une joie presque enfantine. Il sortit très peu de la ville dont il devint l’un des personnages caractéristiques et à la longue traditionnels.


Il revint à son terroir en 1954 après un quart de siècle d’absence pour y recevoir la Médaille d’Argent et le Diplôme d’Honneur du Conseil Provincial de Trujillo. Il y retournera pour la dernière fois en 1961 à l’occasion d’une exposition-vente de son œuvre organisée au Club Libertad. Le seul voyage qu’il fit à l’étranger au cours de ces années-là fut celui où il alla en 1959 à New York. Il y habita quelques mois et exposa à la Galerie “Sudamericana” dirigée par Armando Zegrí à Greenwich Village et à l’ “Internacional”. Peu de temps après, il eut de très bonnes critiques dans la presse nord-américaine. De ce séjour aux États-Unis il garda le souvenir d’une grande métropole aux gratte-ciel lumineux, possédant des décors solitaires, dans certains cas vides et dans d’autres occupés par de minuscules danseurs qui paraissaient se perdre sous les énormes échafaudages qui d’habitude sont cachés derrière les coulisses.

Exposition des œuvres de Macedonio de la Torre à New York. Víctor Andrés Belaunde se trouve sur la photo.

Macedonio en New York

Il est vrai que le fait d’habiter à Lima l’amena à se sentir concerné par les quartiers marginaux de la capitale. Les paysages des modestes maisonnettes des émigrés andins paraissant se superposer sur les flancs des collines adjacentes furent donc aussi une partie intégrante de son œuvre. Il peignit des maisons colorées que l’on ne voit pas dans la réalité crue, car ce sujet dramatique servit également de prétexte pour créer des volumes chargés de couleur faisant partie du monde de l’imaginaire par leur pouvoir plastique, bien que prenant source dans le réel.


Un autre vaste territoire qu’il aima explorer fut le paysage. Certains sont d’authentiques réussites plastiques qui suscitent des émotions intenses grâce à la profondeur avec laquelle ils ont été réalisés et grâce à leur atmosphère mélancolique et envoûtante. Cette préférence plastique s’accentua en Macedonio lors de ses années d’apprentissage et de son expérience en Europe. Il travailla ce genre de différentes façons: depuis celle qui montre une observation attentive des maîtres hollandais et en général nordiques des 17e et 18e siècles et des maîtres romantiques comme Eugène Delacroix, jusqu’à celles conçues par les impressionnistes et pointillistes français et italiens. Ses paysages des déserts côtiers péruviens sont justement très admirés grâce à la magie qu’ils possèdent.