Biographie. Partie IV

(1930 - 1981)
La vie à Lima, séjour à New York (1959 - 1960)

“Son imagination n’avait pas de bornes, nous dit Alfredo. Je me souviens d’un jour où nous étions sur le point d’entrer dans l’immeuble de Mogollón où se trouvait son atelier, quand il s’arrêta pour observer des affiches municipales collées sur un mur. Oubliées là, les intempéries les avaient abîmées, produisant d’étranges dessins et contrastes de couleurs. Macedonio entra alors chez un tailleur, demanda qu’on lui prête une chaise et une paire de ciseaux et enleva l’affiche du mur. Il l’encadra par la suite et le résultat fut en effet très artistique. En guise de conclusion il s’exclama:


“D’autres fois, continua Arana, il se souvenait de son séjour à Paris et de ses rapports avec Vallejo. Il s’enflammait quand il entendait ce qu’on disait du grand poète:


-Ce qu’on dit de lui est complètement faux ! - s’écriait-il - Vallejo n’était ni dépressif ni amer. Tout au contraire. Il aimait bien s’habiller, il soignait son apparence physique et ne supportait pas la moindre tache sur son costume. Il était par ailleurs très éloquent, parfois même se répétait lorsque quelque chose l’intéressait. Il fredonnait souvent une chanson ou récitait un poème, des fois pendant un mois ou plus. Le grand amour de Vallejo fut Henriette. Elle était pauvre. Quand il se maria avec Georgette il commença à vivre un peu mieux, mais ils se disputaient beaucoup. La mort du grand poète fut trop lourde pour elle”.


“En effet –assura Monsieur Alfredo– quand une fois, à Lima, je voulus parler de Vallejo avec Georgette, elle me répondit:
- Ne me parlez pas de lui. Il est déjà mort!


Je compris son attitude car le poète Gustavo Valcárcel en m’emmenant chez elle m’avait averti qu’elle lui en voulait beaucoup …”

Macedonio de la Torre

Macedonio méditant devant une de ses œuvres.

Macedonio allait fréquemment au bar “Zéla” et au “Négro-Négro”, situés au portal Zéla de la Plaza San Martín, et, plus tard, au café “Viena”, situé dans le Pasaje Ocoña. Il y rencontrait d’autres confrères tels que Ricardo Grau, Sérvulo Gutiérrez, Alberto Dávila, Fernando de Szyszlo, Sabino Springuett et Juan Manuel Ugarte Eléspuru. Cependant, il fréquentait plus souvent un bar appelé par les gens du quartier “le café du Yougoslave”. Ce bar était situé dans la rue Jesús y María –actuellement Jirón Moquegua–, à deux cent mètres de son atelier, en face de la Casa de Piedra où se trouvait le siège de l’Association Nationale des Écrivains et des Artistes (ANEA). Il s’y déroulait de plaisantes conversations. Au zénith de sa vie, il passait d’abord par ce bar en allant au temple colonial de Nuestra Señora de las Mercedes où il se recueillait devant la croix de son parent le vénérable frère Pedro Urraca déjà mentionné et effectuait son parcours devant les somptueux autels latéraux. Comme Macedonio aimait le contact des objets imprégnés de sacralité, il était fréquent de le voir toucher chacun de ces hauts retables avec ses longues mains nerveuses et expressives, comme si le toucher le mettait en contact avec des mondes invisibles et supérieurs.


Dans ces rues du centre de Lima il rencontrait des artistes qui se souviennent de son talent original et généreux ainsi que de ses explications surprenantes comme celle dont se rappelle le peintre Sabino Springuett: “Un jour je demandai à l’improviste à Macedonio comment il faisait pour peindre cette végétation exubérante sur des carreaux et des toiles alors qu’il n’avait jamais mis un pied en forêt amazonienne. Il me répondit à la volée que je me trompais, qu’il connaissait très bien la forêt vierge car il possédait la plus grande du monde. Il était si sûr de lui qu’il me déconcerta. Pour me le prouver, il me demanda de l’accompagner chez lui. Quand on arriva il me fit passer dans un patio et me montra plusieurs dizaines de pots où poussaient des fleurs et des plantes en tout genre:


-Voilà la forêt vierge que je contemple avant de peindre! Tout y est!”

Macedonio à son studio du centre de Lima.

Macedonio de la Torre en su estudio

Une des histoires les plus pittoresques et les plus connues sur Macedonio et sur sa passion pour la peinture des paysages où il excella est la suivante. On raconte que lorsqu’il retourna à Trujillo après avoir parcouru le Chili, l’Argentine et la Bolivie, sa famille lui demanda alors de s’occuper à Mansiche de l’hacienda “Las Quintanas” située hors de la ville de Trujillo. Un jour, un ami agriculteur lui rendit visite. Il s’étonna de voir que les champs étaient secs et fanés à une époque où ils devaient être en fleurs. Quand il fit part de sa surprise à Macedonio et qu’il lui demanda pourquoi il n’avait pas ordonné que les prés soient arrosés à temps, le peintre lui répondit pendant qu’il donnait des coups de pinceau à une toile qui représentait ce paysage:


- “Mais pourquoi penses-tu à la récolte? N’admires-tu pas les merveilleux tons jaunes qui sont apparus?”


Il devint aussi la terreur des galeries d’exposition-vente. Comme la fois où, à une exposition, observant quelqu’un de très intéressé par ses peintures, Macedonio finit par décrocher le tableau qui plaisait tant à cette personne et le lui offrit. Cela montrait son esprit libre, généreux, absolument désintéressé, jusqu’au point de partager immédiatement l’argent de la vente qu’il venait de faire avec les amis qu’il trouvait sur la route. Il fit aussi preuve de cette générosité avec les membres de sa famille à qui il offrait fréquemment ses peintures. En guise d’explication, il disait à voix basse:


- “Il faut posséder quelque chose pour pouvoir le donner!”


Quand il se promenait en ville, il ne manquait pas de s’arrêter aux endroits où quelque chose l’intéressait particulièrement. Ainsi, quand il allait chez son fils Víctor, il avait l’habitude de passer d’abord chez le peintre Diego López-Aliaga car il appréciait ses tableaux et faisait l’éloge du “Nu en bleu” qu’il prenait pour l’une des œuvres les plus réussies de cet artiste. López-Aliaga était toujours ravi de le recevoir et se délectait avec les commentaires sur l’art entrecoupés et pleins d’enthousiasme de ce maître menu, nerveux et gai qui vivait “en odeur de peinture”.


Pendant les dernières années de sa vie il rendait assidûment visite à ses parents et amis – les familles Ganoza-Ashton, Benavides-Ganoza, Cárdenas-Martínez, Bolaños-Altamirano, Pérez-Romero Macchiavello, Tord Romero-Velasco Astete et Urquiaga-Gálvez. Il bavardait gaiement avec eux, nuançant ses propos par des commentaires sur la peinture ou s’asseyait au piano et jouait des pièces classiques ou encore participait à des jeux de cartes ou de “crapeaud” (tonneau). Il jouait à ce jeu le samedi chez les Pérez-Romero Macchiavello. Sachant qu’il était superstitieux, pour mettre un peu d’ambiance, on le taquinait en lui montrant une bouteille contenant une couleuvre dans du formol devant laquelle il se démenait en gestes nerveux et compliqués afin de conjurer les influences maléfiques, ce qui amusait tout le monde.

Affiche de la Première Biennale d’Art Contemporain de Trujillo en 1983 avec une reproduction de la peinture à l’huile de Macedonio “Campagne de Moche”.

Afiche Primera Bienal de Arte Contemporáneo de Trujillo

Mon poste de Conseiller aux Affaires Culturelles du Président de la République Fernando Belaunde Terry me permit d’être témoin de sa décision d’octroyer la Grande Croix de l’Ordre du Mérite pour Services Distingués à nos plus grands peintres dont le profil et l’âge méritaient la reconnaissance de la Nation. Un matin, au début de 1981, le Président la remit personnellement à Macedonio. Il se déplaça jusqu’à la clinique “Chorrillos” où le maître était alité atteint d’une maladie mortelle. Le Secrétaire de la Présidence lut la Résolution Suprême en présence de l’épouse du peintre, celle de ses enfants, de ses petits-enfants et des membres de sa famille. Ce fut une cérémonie simple mais empreinte de la profonde émotion de rendre un hommage mérité sur son lit de mort à un artiste qui s’éteignit à quatre vingt huit ans quelques mois plus tard. Le 13 mai 1981, peu après en avoir été informé, je fis part de cette triste nouvelle au Président de la République dans la salle “Grau” du Palais du Gouvernement. La présence d’un représentant du Président aux obsèques du 14 mai, celle d’artistes, d’écrivains et d’hommes politiques au cortège et à l’enterrement à l’ancien cimetière “Presbítero Matías Maestro” de Lima, ainsi que les articles et avis nécrologiques publiés dans les journaux et les magazines furent la dernière preuve de la reconnaissance, de l’affection et de l’estime dont jouissait ce maître de la peinture. Ses restes furent amenés postérieurement au cimitière “Jardins de la Paix” où reposent à coté de son épouse Adriana. Sa longévité lui valut d’être le dernier intégrant de cette jeunesse intellectuelle de Trujillo du début du siècle dernier et des artistes péruviens de sa génération qui se trouvaient à Paris pendant les années vingt. Au moment de son décès il était aussi le doyen des peintres péruviens.