Biographie. Partie IV

(1930 - 1981)
La vie à Lima, séjour à New York (1959 - 1960)

Un autre sujet très travaillé par l’artiste fut celui de fantaisies végétales qui paraissent des rêves de feuillage et de coraux submergés dans des eaux transparentes. Ou encore ces peintures où prédominent les couleurs foncées –sépias, noirs, ocres rougeâtres– et où l’on devine des structures cyclopéennes rappelant les puissantes constructions des Incas qu’il contempla lors de son voyage au Cuzco en 1927. Ou ces montagnes lugubres dont l’obscurité surprend chez un artiste qui avait plutôt le goût pour les tons chauds et vifs.


Mais ce furent ses forêts qui atteignirent le summum de son œuvre plastique car ce sujet lui permit de s’exprimer avec passion et de s’enivrer dans la couleur. Elles le firent se déchaîner dans une joie fébrile où, dans un apparent désordre et effectuant d’intenses repentirs, il versait les couleurs sur la surface blanche recherchant cet enchevêtrement de troncs, de branchages, de feuilles et de fleurs qui a été tellement identifié à son nom de peintre.


Ses portraits reflètent moins de ferveur. Il réalisa généralement des bustes et des vues frontales bien qu’il y ait aussi des variantes comme les portraits de ses fils qu’il dessina au crayon en Europe alors qu’ils étaient enfants. S’il est vrai qu’il ne s’est pas distingué dans ce genre qui n’était d’ailleurs pas particulièrement de sa prédilection, l’on trouve dans certains de ses portraits une approche intéressante de l’intérieur de la personne portraiturée où l’expression porte une aura de mélancolie et de mystère. L’artiste dégageait une étrange sensibilité face à l’être humain, du respect, et même un étonnement que ses touches permettent d’entrevoir.


Son extrême vitalité le poussa aussi à décorer des objets insignifiants comme des boutons ou d’autres surfaces, sans s’inquiéter de la qualité ou de la consistance du matériau. Et les os, les bouts de bois et les coquillages qu’il trouvait sur les plages solitaires et dans les jardins n’échappèrent pas à son anxiété perpétuelle de structurer des formes. Il en fit des objets esthétiques –des Christs, des Vierges, des animaux–, qu’il exposa à plusieurs occasions. Il a déjà été dit que cette recherche du beau et du significatif dans les choses simples et que l’on jetait était une approximation aux prétentions du Pop-Art. À propos de ce talent, le poète Julio Garrido Malaver commente que lorsqu’il se promena un jour avec Macedonio sur la plage de Huanchaco au coucher du soleil, le peintre s’arrêta brusquement et s’exclama: “À quoi bon la poésie et la peinture, Julio! Notre art est bien peu de chose face à Maîtresse Nature!” Garrido Malaver vanta alors les œuvres du génie humain, et arriva à calmer un peu son excitation jusqu’à ce que Macedonio, observant des pierres, lui dit: “Dis-moi, Julio, dis-moi ce que tu veux que je crée avec ces pierres!” Et le poète Garrido en plaisantant lui répondit: “Crée l’image de Napoléon prisonnier à Sainte Hélène”. Alors qu’il s’exécutait, il lui demanda de se retourner pour ne pas regarder. Quelques minutes plus tard il lui dit qu’elle était prête et lui demanda de s’approcher. Quelle ne fut la surprise du poète de contempler l’effigie de Napoléon représentée dans une de ses attitudes les plus typiques… la main sur l’estomac!

Macedonio de la Torre et Julio de la Piedra, le beau-père de son fils Víctor de la Torre Romero.

Le peintre et sa nounou Elvira Bermeo Alvarado.

Au sujet de ses expositions à Lima, l’époque la plus intense fut celle des années 50 à 70, car au cours de la décennie précédente, il n’exposa qu’à deux occasions: en 1942, il réalisa une exposition individuelle à la Société “Entre Nous” et en 1944, il participa d’une collective où il décrocha le Premier Prix du Salon des Aquarellistes. Parmi celles effectuées au cours des années 50, nous soulignons ses expositions individuelles à La Galería de Lima en 1954, et celles de 1956 et 1957 à l’Instituto de Arte Contemporáneo (IAC).


Parmi ses expositions des années 70, nous mentionnerons ses individuelles de 1962, 1963, 1965 et 1967 à l’Instituto Cultural Peruano-Norteamericano et celle de 1965 à l’Asociación Artística y Cultural “Jueves” où il inclut ses sculptures d’os d’animaux, de pierres et d’arbustes. Cependant, son exposition la plus notoire fut l’“Exposición Retrospectiva Macedonio de la Torre” organizée par le Museo de Arte de Lima en décembre 1968. Il s’agit d’une rétrospective de sa production artistique qui réunit 136 de ses œuvres: des huiles, des dessins, des aquarelles et des sculptures. Cet évènement artistique permit d’avoir une vision d’ensemble de son travail au cours d’un demi-siècle. Lors de la dernière décennie de sa vie, il fit une exposition à la galerie d’art de la Casa del Moral de Arequipa, organisée en septembre 1976 par le Banco Industrial del Perú. En novembre-décembre 1983, deux ans après sa mort, l’exposition d’une sélection de ses œuvres à la Casa Ganoza-Chopitea lors de la Primera Bienal de Arte Contemporáneo de Trujillo fut l’occasion de lui rendre hommage. On reproduisit son huile “Campagne de Moche” peinte en 1930 sur l’affiche de cette biennale.


Sa silhouette menue un peu plus voûtée à la fin de ses jours, l’élocution rapide et nerveuse, gesticulant des mains, gai, affectueux, souriant, le regard noir et brillant, il parcourait les rues du centre de Lima: le jirón Moquegua, le jirón de la Unión et ses églises préférées parmi lesquelles se trouvait le temple de La Merced. Là il s’attardait au mur où l’on exhibe une croix qui fut portée par le vénérable frère Pedro Urraca (1583-1657). Les innombrables ex-voto en argent entourant la croix témoignaient de la foi et des remerciements pour les faveurs reçues. Macedonio se rendait là parce qu’il était croyant, mais aussi parce que ce religieux de la Merced était, comme on l’a dit, un parent lointain.


Même à quatre vingt ans, Macedonio prenait encore les transports en commun, très souvent de vieux autobus délabrés de la ligne Cocharcas-José Leal qui le déposaient tout près des maisons de ses parents et amis à qui il rendait visite pour passer le temps à bavarder, à jouer aux cartes ou au tonneau (crapaud) après s’être affairé pendant des heures au défi quotidien de la peinture. Il affirmait d’ailleurs à propos de sa façon de peindre: “Je peins comme un enfant qui vient au monde, en jouant, en pleurant peut-être, mais d’un seul coup… Quand je commence, ma main brûle avec les couleurs; c’est pourquoi je ne la laisse pas refroidir; je ne laisse rien pour le lendemain”.