Pendant ces années il vécut entouré de ses petits-enfants: son fils aîné Gustavo, marié à Marta Recavarren Gastañeta eut trois enfants, Gustavo, Rebeca et Carlos. Son jeune fils Víctor, marié à María Gabriela de la Piedra Russo, en eut cinq: Bertha, Víctor Julio, Clarisa, Diego et Jerónimo. Au cours de sa vieillesse active, il reçut au Club Central un des hommages les plus significatifs, bien que tardif: le 4 août 1978, on lui décerna la Médaille d’Or de la Ville, le désignant Fils Illustre de Trujillo, et la filiale de l’Institut National de la Culture pour le département de La Libertad lui remit un parchemin en l’honneur de son importante œuvre plastique. Ces décorations s’ajoutèrent à celles qui lui avaient déjà été délivrées par cette ville, un quart de siècle auparavant.
C’est tout au long de ses années de maturité passées à Lima que se fixèrent les traits de caractère de sa curieuse personnalité dont l’originalité fit sa réputation à base d’histoires et d’anecdotes. Anecdotes joyeuses qui dévoilaient une âme spontanée, indépendante, en marge des stéréotypes ou des conventions. Il n’était d’ailleurs pas facile de communiquer avec lui, car il passait très vite d’un sujet à un autre au cours d’une conversation. Il se prenait aussi subitement à rire d’un aspect quelconque de la réalité ou moqueur, taxait de “rustres” ceux qui, bien qu’ayant les moyens ne s’intéressent absolument pas à l’art.
Sa singularité débordait jusque dans la routine de la vie quotidienne: à table il mélangeait dans une même assiette l’entrée, la soupe et le dessert, rassurant les convives hébétés en leur disant que l’ordre des facteurs n’altère pas le produit. Lorsque quelqu’un lui demandait l’heure, ne possédant pas de montre il répondait cependant immédiatement et sans hésitation, avec une exactitude si surprenante qu’elle laissait la personne ébahie. Ou encore, son incroyable bonne étoile le guidait dans les jeux de hasard; celle-ci et la foi qu’il mettait dans certains numéros le firent gagner plus d’une fois au loto ou fréquemment aux cartes, spécialement à son jeu préféré, le “golpeado”. Ce plaisir qu’il prenait à jouer avec ses amis lui venait de famille car son père et son grand-père avaient été de bons joueurs, comme c’était la coutume en province. Ce penchant le faisait aller non seulement chez des parents et amis amateurs de jeux de hasard, mais aussi au club Départemental de “La Libertad”, au deuxième étage d’une grande bâtisse vétuste du Paseo Colón de Lima. Il y arrivait à n’importe quelle heure, à la recherche d’une partie de “golpeado”, de poker, ou de “la lora”. Justement quand en 1961 il retourna à Trujillo après de longues années d’absence pour exposer ses œuvres au club “Libertad”, il fut le protagoniste d’un fait qui appartient maintenant au recueil d’anecdotes de la cité. Le jour du vernissage de son exposition, Macedonio rendit visite à de nombreux parents et amis qui constituaient la haute société de Trujillo de par leur situation et leurs solides revenus. Après les avoir salués, il leur demanda leur carte de visite. Quand le soir venu ils arrivèrent au vernissage de l’exposition, ils s’aperçurent à leur grande surprise que Macedonio avait placé une carte de visite à côté de chaque tableau, indiquant par là que les tableaux avaient été vendus aux propriétaires des cartes… Mais l’affaire ne se termina pas là. En raison du succès des ventes dû à une méthode aussi expéditive, Macedonio demanda aux membres du Club Central de lui octroyer cette même nuit une table de jeu pour lui tout seul, car il voulait jouer au poker avec un groupe de parents et d’amis. Ainsi fut fait. Il est vrai que les camarades de jeu de Macedonio s’étaient tous tacitement mis d’accord pour qu’il ait toutes les chances de gagner. Enthousiasmé par le jeu et joyeux à la pensée de l’argent qu’il recevrait les jours prochains pour ses tableaux vendus, il ordonna un magnifique dîner arrosé du meilleur champagne et accompagné de vins fameux pour ses compagnons de jeu et lui-même. Cependant, et malgré la bonne volonté de ses compagnons de jeu, la malchance s’acharna sur lui. À deux heures du matin il avait perdu la somme qui aurait servi à payer l’addition d’un banquet si généreusement offert. Ils étaient sur le point de partir quand Macedonio leur demanda de rester pour jouer les dernières parties. Au grand étonnement de tous, il récupéra l’argent perdu, paya les dettes qu’il avait envers le Club et de surcroît, gagna une somme appréciable. Il était tellement excité qu’il continua la fête jusqu’à l’aube chez les Pinillos Hoyle de la Plaza Mayor, où il interpréta joyeusement et avec un grand enthousiasme une série de pièces classiques au piano.
Macedonio contemplant le portrait de sa mère Adélaïda Collard Mendoza.
Macedonio à l’âge mûr dans une de ses attitudes caractéristiques.
Macedonio avait cependant d’autres traits particuliers. Carlos Manuel Porras Vargas journaliste vétéran de Trujillo, ancien membre de “El Molino” et ami de Macedonio, nous conta au sujet de celui-ci une autre histoire qui survint aussi en 1961 à Trujillo. “Pendant l’exposition-vente de Macedonio, je me promenais avec lui dans les rues de notre ville qu’il revoyait après de nombreuses années. Il m’indiquait les endroits où il voulait que je l’emmène. Nous arrivâmes par le Jirón Francisco Pizarro au croisement de Gamarra. Je fis mine de me diriger vers les bureaux du journal La Industria à quelques mètres de là, mais Macedonio m’arrêta brusquement et refusa de continuer à marcher. Surpris, je lui demandai: “Mais, Macedonio, les bureaux du journal sont exactement à côté de ta maison, pourquoi ne veux-tu donc pas y aller?
- Il n’en est pas question, dit-il en faisant un geste de ses mains, cette maison me rappelle des souvenirs très tristes!”
Carlos Manuel Porras nous raconte: “Une autre fois, alors qu’une répression très dure sévissait contre les militants de l’APRA, je me trouvais à Lima et j’avais coutume de me rendre à l’atelier de Macedonio rue Mogollón. Comme en 1932 j’avais été fait prisonnier et donc “fiché” par la police, je dormais chaque jour à un endroit différent. Malgré tout, j’allais comme d’habitude rendre visite au peintre mais ne le trouvais pas. Que s’était-il passé? Macedonio s’était caché, convaincu qu’il était aussi poursuivi…parce qu’il était le cousin du chef du Parti!”
Le poète Julio Garrido Malaver, se souvient que pour Macedonio avec lequel il scella une forte amitié, l’art était la seule chose qui comptait dans la vie. Le poète d’humeur étrange me dit un jour: “Cette conviction était si ancrée en lui qu’il me révéla que lorsqu’il attrapa une pneumonie à Puno, il la soigna… en écoutant un disque de la Neuvième Symphonie de Beethoven!” Mais il était aussi parfois la proie de passions imprévisibles comme par exemple celle qui le sépara de Víctor Raúl Haya de la Torre pendant plusieurs années lorsqu’il prit le parti d’une des nièces du leader qui avait publié des lettres contre son lui dans des revues. “Son attitude était la proie de sentiments bizarres, comme quand il me dit en ce temps-là qu’il ne pouvait pas supporter le fait que son cousin germain Víctor Raúl, dorme à la Villa Mercedes… dans le même lit où il était né.”
Pendant les années 50, Macedonio se rendit aux soirées de l’écrivain d’essais Antenor Orrego qui venait juste de sortir de prison où le gouvernement du général Manuel A. Odría l’avait jeté. Y participaient le poète José Lora y Lora, les frères Berger, le poète Julio Garrido Malaver –quand il se trouvait à Lima– et Alfredo Arana qui nous assura “qu’ils étaient tous de tempéraments très différents. Il y avait toujours des désaccords. En ce temps-là, Orrego, le patriarche du groupe, écrivit un livre inédit que ma sœur tapa à la machine: Ma rencontre avec Vallejo. Le poète Lora venait lui aussi d’écrire un livre q’il intitula d’une façon originale Un goût de mammée (la mammée est un fruit du Pérou, une espèce de gros abricot)
Macedonio ne supportait pas le regard pénétrant de Lora. Son aversion pour lui était si forte qu’un jour, lorsque l’un des frères Berger arriva avec un portrait qu’il avait peint du poète de Lambayeque, Macedonio déclara d’une façon catégorique: “C’est intolérable!” et il abandonna immédiatement la réunion, outré...”.
“Une autre de ses réactions imprévues eut lieu chez moi, nous relata Alfredo Arana. À cette époque nous nous réunissions le lundi et différents artistes y participaient. Un soir ce fut le directeur de l’Orchestre Symphonique Vénézuélien et un orchestre de chambre. Se référant à certaines pièces qu’ils avaient l’habitude d’interpréter, il cita une chanson. À notre grande surprise, Macedonio bondit comme un ressort et s’adressant à lui:
-Vous ne devez pas jouer cette chanson!
Adriana, l’épouse de Macedonio ajouta:
-Mon mari dit cela parce que notre fils Gustave la chante.
Et ils abandonnèrent la réunion sur-le-champ, laissant les invités pantois”.
Mais la plus pittoresque des anecdotes qui nous a été racontée à propos de l’artiste fut celle révélée par Alfredo Arana lui-même: “Un jour Macedonio demande à ma femme, Blanca:
-Est-ce que je suis ici chez moi?
Comme elle s’empresse de lui répondre oui, il lui demande s’il peut organiser un cocktail pour quelques amis. Il va sans dire qu’elle accepte sans hésiter. On prépare donc le cocktail et on engage des serveurs. Macedonio passe l’après-midi de la réception à la porte de la maison, les mains sur les hanches et les jambes écartées. Cinq à six invités n’arriveront qu’après une longue attente et parmi eux, Luis Alberto Sánchez et Felipe Cossío del Pomar. Macedonio resta debout, dehors, jusqu’à ce que les quelques invités présents se lassent et s’en aillent. Le lundi suivant, en début de semaine, je tombe par hasard sur un député de Piura qui avait été invité et quand je lui demandai pourquoi il n’était pas venu au cocktail, je compris l’origine du désastre: Comme à tous les conviés Macedonio lui avait dit que pour leur montrer le chemin de ma maison il les attendrait à la porte, à côté de la pompe à essence… qui était située à deux cent mètres de là en face d’une autre avenue! Évidemment personne n’avait trouvé Macedonio et après l’avoir cherché en vain, ils désistèrent!”